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Par Jeanne Truong

L'atelier est aussi pour Xavier Wei le lieu où il peut chercher son style propre. En expérimentant tous les jours et en peignant inlassablement, le peintre est attentif à quelque chose qui pourrait surgir de la toile, devenant acteur et spectateur de sa production. Ses sources d'inspirations sont aussi hétéroclites et dispersées dans le temps que celles de Lin Li-Ling. Ils partagent, par exemple, la même admiration pour la peinture religieuse des icônes de la Renaissance. Ce qui semble fasciner l'artiste c'est la ferveur avec laquelle cette peinture a été faite et la naïveté et la simplicité des icônes dont les critères ne sont pas fondés sur la perfection des images ni sur la fidélité aux modèles mais sur l'ardeur de l'acte lui-même, ainsi que sur le désir de se relier à ce qui est peint. La peinture serait pour Xavier Wei une sorte de dévotion quotidienne, un exercice de prière et d'ascèse.

Rêve I, 1994
Notre secret, 1993

Xavier Wei a, pendant longtemps, peint des scènes de mémoire où l'imaginaire a une place cruciale. Un imaginaire qui a ses sources dans le théâtre, le cinéma et la photographie. Pendant cette période, sa peinture est hantée par l'allégorie (la mémoire, l'après-midi), l'onirisme (la nuit rose, rêve un, rêve deux) et les symboles (chanson de rêve). Les scènes représentent souvent des espaces indéterminés qui pourraient être des chambres interdites où s'élèvent des chuchotis et où se jouent des échanges érotiques. La toile, « notre secret », est emblématique des tableaux de cette période. Le peintre utilise d'ailleurs les possibilités de dilution de l'huile pour faire surgir des flous, pour donner des tons ambigus, pour jouer avec des clairs-obscurs, pour peindre des corps sans visage. Une sorte d'irréalité et de secret plane sur ces scènes intimes où les désirs s'exaucent dans l'innocente sécurité d'un lieu clos.

Un gilet blanc, 1998
Aujourd'hui, xavier Wei peint d'après nature des corps en plein jour. Il a rompu avec ces anciennes compositions et s'impose un cadre plus minimal, en éliminant presque tous les éléments de décor pour ne garder que la chaise sur laquelle est assis le modèle. Il réduit à l'essentiel ce qui était dans ses précédentes peintures, c'est-à-dire, le corps mis à nu. La facture de ses toiles est plus acide et plus réaliste. Ce qui était tabou peut désormais être l'objet d'une étude précise. Par exemple, il s'attache à peindre les sexes masculins dans ses moindres détails, avec les nuances de tons et de couleurs qui servent à peindre un visage ou une main. Ainsi en va-t-il de même de cet organe humide qu'est la langue, autre incarnation de l'orgasme.

Xavier Wei revisite le nu, dans la tradition du maniérisme, en attribuant au corps masculin des postures et des gestuelles généralement dédiée à la femme, l'habillant d'accessoires féminins. Ce qui est frappant, c'est la liberté des poses et leur diversité. Les traits de ses nus ont une certaine cruauté. Est-ce le regard qu'il porte sur ses modèles ou est-ce la restitution fidèle de ce qui sourd des modèles eux-mêmes ? Xavier Wei ne fait que capter, en témoin lucide, leur réalité sociale et psychologique, sans chercher à l'édulcorer ni à la masquer. C'est ainsi que les poses narcissiques de ses modèles occidentaux renvoient à une certaine société parisienne, tournée vers sa propre image, jouissant de son propre spectacle.

Les nus metaphorisent aussi le rapport en miroir de l'artiste avec son travail. En ce sens, tous ces corps pourraient être une série d'autoportraits.

Suite Fermer les yeux, 1997~
L'utilisation de la série donne une unité à la diversité de ses sujets et produit une sorte de décontextualisation des corps et de leurs spécificités, à l'exemple de cette impressionnante série des visages qui ferment les yeux. La mise en série et le silence qui se dégage de ces visages aux yeux clos mettent, sur un même plan, un visage français et un visage asiatique, un visage de femme et un visage d'homme, un visage vieux et un visage jeune. Ce qui émane de l'ensemble, c'est la composition classique de la série qui assume une rupture avec la peinture contemporaine d'aujourd'hui.

Modern Art, n°120 Bimonthly, juin 2005, éditions TFAM, par Jeanne Truong, commissaire et critique, habite et travaille à Paris