L'atelier est aussi pour Xavier Wei le lieu où il peut chercher son style propre. En expérimentant tous les jours et en peignant inlassablement, le peintre est attentif à quelque chose qui pourrait surgir de la toile, devenant acteur et spectateur de sa production. Ses sources d'inspirations sont aussi hétéroclites et dispersées dans le temps que celles de Lin Li-Ling. Ils partagent, par exemple, la même admiration pour la peinture religieuse des icônes de la Renaissance. Ce qui semble fasciner l'artiste c'est la ferveur avec laquelle cette peinture a été faite et la naïveté et la simplicité des icônes dont les critères ne sont pas fondés sur la perfection des images ni sur la fidélité aux modèles mais sur l'ardeur de l'acte lui-même, ainsi que sur le désir de se relier à ce qui est peint. La peinture serait pour Xavier Wei une sorte de dévotion quotidienne, un exercice de prière et d'ascèse.
Xavier Wei a, pendant longtemps, peint des scènes de mémoire où l'imaginaire a une place cruciale. Un imaginaire qui a ses sources dans le théâtre, le cinéma et la photographie. Pendant cette période, sa peinture est hantée par l'allégorie (la mémoire, l'après-midi), l'onirisme (la nuit rose, rêve un, rêve deux) et les symboles (chanson de rêve). Les scènes représentent souvent des espaces indéterminés qui pourraient être des chambres interdites où s'élèvent des chuchotis et où se jouent des échanges érotiques. La toile, « notre secret », est emblématique des tableaux de cette période. Le peintre utilise d'ailleurs les possibilités de dilution de l'huile pour faire surgir des flous, pour donner des tons ambigus, pour jouer avec des clairs-obscurs, pour peindre des corps sans visage. Une sorte d'irréalité et de secret plane sur ces scènes intimes où les désirs s'exaucent dans l'innocente sécurité d'un lieu clos.
Xavier Wei revisite le nu, dans la tradition du maniérisme, en attribuant au corps masculin des postures et des gestuelles généralement dédiée à la femme, l'habillant d'accessoires féminins. Ce qui est frappant, c'est la liberté des poses et leur diversité. Les traits de ses nus ont une certaine cruauté. Est-ce le regard qu'il porte sur ses modèles ou est-ce la restitution fidèle de ce qui sourd des modèles eux-mêmes ? Xavier Wei ne fait que capter, en témoin lucide, leur réalité sociale et psychologique, sans chercher à l'édulcorer ni à la masquer. C'est ainsi que les poses narcissiques de ses modèles occidentaux renvoient à une certaine société parisienne, tournée vers sa propre image, jouissant de son propre spectacle.
Les nus metaphorisent aussi le rapport en miroir de l'artiste avec son travail. En ce sens, tous ces corps pourraient être une série d'autoportraits.
Modern Art, n°120 Bimonthly, juin 2005, éditions TFAM, par Jeanne Truong, commissaire et critique, habite et travaille à Paris